
L’objectif de développement durable (ODD) 16: Paix, justice et institutions efficaces, consiste à promouvoir des sociétés pacifiques et inclusives, à assurer l’accès de toutes et tous à la justice et à mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous et toutes. À l’heure actuelle, on recense près de 110 confits armés dans le monde. Des niveaux élevés de violence armée et d’insécurité ont un impact destructeur sur le développement et les perspectives de paix d’un pays.
Les travaux de promotion de la paix ont toujours été sous-financés par rapport aux besoins. Les financements proviennent principalement de donateur·rices (internationaux·les) qui fournissent des ressources importantes à des organisations et à des projets individuels. Les problèmes liés à cette approche, notamment la diversité des sources, le financement à court terme, la contrôle local des fonds limité et la dépendance vis-à-vis des priorités des donateur·rices, ont été bien documentés. Quoi qu’il en soit, dans un environnement postpandémique où les ressources sont limitées, les expert·es, les décisionnaires et les professionnel·les doivent accepter qu’ils·elles auront moins de ressources financières pour faire avancer la promotion la paix, qui présente un défi mais aussi une responsabilité à l’échelle nationale.
Idéalement, les citoyen·nes, avec le soutien de leur gouvernement, créent ensemble les bases d’une paix durable. Mais que se passe-t-il lorsque les acteurs et actrices gouvernementaux·les détournent d’énormes sommes d’argent de leur budget national ou s’engagent dans la kleptocratie pour s’enrichir et en faire profiter leurs associé·es ou même des acteur·rices criminel·les transnationaux·les? Tout d’abord, les fonds sont alors insuffisants pour offrir des services de base tels que l’éducation et la santé, fournir des emplois et des moyens de subsistance, assurer la sécurité alimentaire et garantir les droits humains. Cela contribue à créer les conditions propices à la propagation des conflits. Deuxièmement, ces abus de pouvoir se développent et s’enracinent dans les contextes d’États touchés par les conflits, qu’ils soient caractérisés par des tensions entre groupes, des violences politiques ou des conflits armés.
Le scandale de la dette cachée au Mozambique est un excellent exemple de la façon dont la corruption financière peut plonger un pays plus profondément dans la pauvreté et la fragilité. Le scandale implique l’ancien ministre des finances du Mozambique, Manuel Chang, des banquier·es europèen·es, des hommes et des femmes d’affaires basés au Moyen-Orient, ainsi que de hauts responsables politiques et des fonctionnaires mozambicain·es qui ont conspiré pour contracter un prêt de 2 milliards de dollars américains pour le Mozambique, une somme astronomique représentant 12 % du PIB de l’un des pays les plus pauvres du monde. Le prêt a été dissimulé. Le Mozambique n’a pas vu la couleur de l’argent emprunté, à l’exception des pots-de-vin, et aucun service ou produit n’a bénéficié au peuple mozambicain. Les répercussions d’un scandale de corruption d’une telle ampleur ont déjà coûté au pays au moins 11 milliards de dollars américains, soit presque la totalité du PIB de 2016 du pays, et près de 2 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté. Si le Mozambique est contraint de rembourser cette dette, ce sont 4 milliards de dollars supplémentaires qu’il devra payer, en plus des conséquences néfastes à venir.
Le scandale de la dette cachée a été provoqué par des conflits politiques, une culture de l’impunité, des crises fiscales et économiques, la dette du secteur public et la corruption. De graves impacts sont à prévoir, notamment un affaiblissement de la gouvernance et des institutions, un déclin de la démocratie, une recrudescence des conflits politiques et une fuite des investissements publics, le tout aggravant la pauvreté. En d’autres termes, la corruption en général (et financière en particulier) alimente une vulnérabilité aux conflits avec un renforcement mutuel et affaiblit les perspectives de paix.
Comprendre les efforts de lutte contre la corruption et la nécessité d’une action pratique:
Une récente conversation en ligne entre expert·es de la lutte contre la corruption nous informe que le 20e anniversaire de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC) a été marqué, entre autres, par un nombre croissant de recherches tentant de comprendre les raisons de l’échec des récentes réformes anticorruption dans de nombreux pays. Différents facteurs sont évoqués, tels que le type de régime politique, la volonté politique et le contexte historique. Alexey Konov, expert en matière de lutte contre la corruption, a utilisé l’expression «négligence de la réalité» (inattention to reality) comme diagnostic, qui a été reconnue par d’autres expert·es comme étant percutante et exacte, soulignant la nécessité de rendre les efforts de lutte contre la corruption tangibles. Les travaux menés par SOAS-ACE (Anti-Corruption Evidence), Mushtaq Khan et Pallavi Roy s’articulent autour de la prise en compte sérieuse de la réalité et du paysage contextuel du pouvoir, des intérêts et des leviers potentiels pour une action efficace. Leur approche favorise la mise en œuvre réussie d’actions pratiques de lutte contre la corruption au(x) niveau(x) adapté(s) par, avec et à travers les citoyen·nes en partenariat avec le gouvernement et les institutions de l’État.
Freiner la corruption financière et les flux financiers illicites:
En gardant cela à l’esprit, il est temps d’adopter une vision directe pour réduire l’impact de la corruption financière et des flux financiers illicites (FFI) sur la promotion de la paix et de développer une approche pragmatique pour les endiguer, en particulier lorsque la corruption du gouvernement est à la source des FFI et que sa volonté d’y remédier est faible, malgré les discours qui affirment le contraire.
La corruption financière, définie ici comme l’opacité du système financier mondial et les actions que cette opacité permet, est souvent un facteur majeur d’aggravation les conflits. Le lien entre la paix et les flux financiers illicites est explicite dans la cible 16.4 de l’ODD, qui vise à réduire les flux financiers illicites, à renforcer les activités de récupération et de restitution des biens volés et à lutter contre toutes les formes de criminalité organisée.
Le travail et le financement de la promotion de la paix nécessitent une double approche. Tout d’abord, les économies avancées doivent peser de tout leur poids dans la lutte contre la corruption financière. Cela implique notamment de combler toutes les défaillances, juridiques ou autres, qui permettent aux FFI et aux dirigeant·es et acteur·rices corrompu·es de trouver un refuge qui perpétue le secret financier. Transparency International et Global Financial Integrity fournissent des recommandations et ressources aux donateur·rices et aux acteur·rices du développement et de la consolidation de la paix pour qu’ils·elles fassent leur part et s’assurent que leur travail contribue à combler ces failles dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets. Deuxièmement – et c’est là que la connaissance contextuelle approfondie du pouvoir, des intérêts et des leviers potentiels pour l’action devient importante – les réformes visant à freiner la corruption financière doivent être mises en œuvre au sein des États. Là encore, des organisations comme CMI U4 peuvent fournir des recherches et des conseils pratiques. Les réformes en matière d’audit et de contrôles financiers, de budgétisation, d’implication du secteur privé, de passation de marchés, de prestations de services publics, de collecte d’impôts et de recettes, et de garantie que l’extraction des ressources naturelles profite financièrement aux communautés hôtes ne sont que quelques exemples de la façon dont les flux financiers illicites peuvent être freinés et dont les effets de la lutte contre la corruption sont obtenus de manière indirecte.
Défis et voie à suivre:
Les réactions négatives et la résistance face à la volonté de freiner les FFI et leurs bénéficiaires sont inévitables. Appliquer les principes de localisation et de sensibilité aux conflits et travailler de manière politiquement opérationnelle permettront d’assurer une meilleure «prise en compte de la réalité».
La prolifération des tensions entre groupes, de la violence politique ou des conflits armés nécessite des solutions de promotion de la paix. Ces solutions impliquent une multitude d’acteur·rices travaillant sur de nombreuses dimensions de la transformation des conflits et de la paix, y compris le renforcement des institutions, les infrastructures, l’humanitaire, les terres et la gouvernance, pour n’en citer que quelques-unes. Des ressources sont nécessaires pour financer la paix; or, la corruption financière et l’opacité qu’elle engendre privent les pays, y compris les économies avancées, des ressources financières nécessaires à une consolidation de la paix transformatrice.
Des leçons fondées sur des données probantes sont nécessaires aux progrès à réaliser pour atteindre l’ODD 16. Le rôle de la corruption financière dans l’aggravation des conflits n’a pas été suffisamment étudié. De même, les exemples positifs de lutte contre la corruption financière n’ont pas fait l’objet d’une recherche systématique. Pourtant, en continuant à nous concentrer sur la sensibilité aux conflits et la localisation, nous pouvons encourager les réformes anticorruption qui garantissent que les fonds destinés à la promotion de la paix soient mis à profits dans les domaines où ils sont le plus nécessaires.